Un rachat aux conséquences éditoriales majeures

Le JDD est passé sous contrôle de Vivendi, le groupe de Vincent Bolloré, en 2021 via le rachat de Lagardère. Déjà propriétaire de CNews et Europe 1, Bolloré façonne une galaxie médiatique à tendance conservatrice assumée. Ce changement de main marque une rupture historique dans l’équilibre du journal.

Dans les mois suivant ce rachat, le JDD adopte une ligne éditoriale plus tranchée : thèmes identitaires, insécurité, critique de la « bien-pensance ». La cohérence avec CNews et Valeurs Actuelles s’installe progressivement, brouillant les frontières entre information et opinion.

Geoffroy Lejeune à la tête du JDD

La nomination de Geoffroy Lejeune en juin 2023, ex-directeur de Valeurs Actuelles, condamné pour injure raciale, a été vue comme une déclaration politique. Sa ligne éditoriale est claire : réhabiliter des figures d’extrême droite et donner une place centrale au récit national-conservateur.

Dès les premiers numéros qu’il supervise, le journal met à la une Marion Maréchal ou des intellectuels ultraconservateurs comme Chantal Delsol. Cette focalisation sur des figures controversées provoque une rupture avec l’ancien lectorat du JDD, habitué à une approche modérée.

Une mobilisation contre la nouvelle orientation

Une tribune publiée dans Libération et signée par plus de 400 personnalités, dont Annie Ernaux, Juliette Binoche ou encore Thomas Piketty, dénonce un basculement idéologique du journal au service de l’extrême droite.

Annie Ernaux y écrit : « Nous ne voulons pas de cette presse qui ne fait que conforter la haine, la peur, le rejet. » Cette mobilisation reflète un refus catégorique d’une banalisation des discours identitaires.

Départs massifs 

Face à la nouvelle ligne imposée, 90 % de la rédaction quitte le journal. La grève est historique, non pas sur des revendications salariales, mais sur une question de conscience professionnelle. Le départ d’anciens rédacteurs en chef ou chroniqueurs emblématiques entérine la fracture.

En parallèle, les recrutements qui suivent sont marqués : plusieurs anciens de CNews et Valeurs Actuelles rejoignent l’équipe. Le journal change profondément de ton, de style, de choix thématiques. Il se recentre sur les « guerres culturelles », souvent au détriment du pluralisme des points de vue.

Le JDD défend sa ligne éditoriale

Le traitement éditorial évolue : des sujets comme l’euthanasie sont abordés quasi exclusivement du point de vue des opposants à la légalisation, souvent issus des milieux catholiques conservateurs. Les voix discordantes sont marginales, voire absentes.

Geoffroy Lejeune a déclaré sur CNews : « Mon projet, c’est de refaire du JDD un grand hebdomadaire d’opinion, qui ne craint pas de parler vrai. » Cette position suscite un vif débat sur les limites de la liberté éditoriale.

Une transformation qui interroge 

La mue du JDD n’est pas un cas isolé mais un symptôme. Elle s’inscrit dans une tendance de plus en plus forte de politisation des médias privés, notamment ceux rachetés par des industriels ayant des intérêts idéologiques et financiers à défendre.

Le journaliste Samuel Gontier parle d’« écosystème cohérent » : le même ton, les mêmes visages, les mêmes obsessions circulent de CNews au JDD, en passant par Europe 1. Le pluralisme s’efface derrière une parole unique qui conforte les clivages et polarise davantage la société.