Les grands défis actuels de l’Indonésie, puissance asiatique montante

Article publié le Sep 18, 2025
Lucie Jany
4ème année (ERIG) à Sciences Po Strasboourg
Pour citer ce baragouin :
Lucie Jany, "Les grands défis actuels de l’Indonésie, puissance asiatique montante", BARA think tank, publié le Sep 18, 2025, [les-grands-defis-actuels-de-lindonesie-puissance-asiatique-montante]

La richesse ethnique et sociale de l'Indonésie, un équilibre basé sur la répression 

Une histoire de répression de certaines minorités toujours victimes d’inégalités aujourd’hui  

L’Indonésie est un pays qui se distingue par son immense richesse ethnique, religieuse et linguistique. Celle-ci est due à la géographie du pays, un archipel étendu sur près de deux millions de kilomètres carrés, mais aussi à son histoire, caractérisée par son entrée précoce dans les échanges internationaux via le commerce et différentes vagues migratoires. L'Indonésie reste toutefois critiquée pour la mauvaise gestion de sa diversité ethnique. Des vagues de répression, aussi bien contre des minorités que contre des mouvements d’opposition politique, ont marquées le XXème siècle. Il faut rappeler le massacre de 1965 et 1966 à l’encontre des partisans communistes sous le régime du premier président indonésien Seokarno, qui a été considéré a posteriori comme « l’un des événements les plus tragiques de ce siècle, mais aussi l’un des plus ignorés » comme l’explique Jean-Louis Margolin dans son article publié par la Revue internationale de politique comparée en 2001.

Toutefois, la partie du pays qui a subi le plus de violence reste la Papouasie, l’une des provinces indonésiennes à statut spécial située en Nouvelle-Guinée Occidentale. Les violences débutent durant la seconde partie des années 1960 après le coup d’État du général Suharto. Aujourd’hui, la Papouasie est l’une des provinces du pays avec le plus de policiers et de forces armées. et de nombreuses manifestations ont lieu  au nom de la volonté d'indépendance des papous. En avril 2025, 18 victimes ont été déclarées mortes sous les attaques de l’armée indonésienne dans la région, dont des civils et au moins un enfant, selon les déclarations de l’Armée de libération nationale de Papouasie Occidentale. La souveraineté sur cette partie du pays a été donnée à l’Indonésie par les États-Unis après avoir incité les Pays-Bas à s’y retirer en 1962, souhaitant limiter la progression du communisme dans la région. En 2019,  une résidence étudiante papoue a été prise d’assaut par des forces de police car ses habitants étaient accusés d’avoir spolié le drapeau indonésien, faisant cinq blessés et 43 arrestations. En 2022, Amnesty International compte au moins trois activistes papous emprisonnés pour avoir exprimé leur opinion en faveur de leur indépendance et donc ayant été privés de leur liberté d’expression. 

Les droits des femmes ne sont pas non plus les droits indonésiens les mieux défendus. Entre mutilation, limitation des libertés et obligation du port du hijab de plus en plus présente dans certaines parties du pays malgré la liberté de religion, de nombreuses organisations internationales s’inquiètent du recul du droit des femmes dans le pays. En 1999, dans une volonté de décentralisation dans le pays faisant suite au régime de Suharto, une loi autorisant les provinces à décider de certaines régulations dans l’éducation et les métiers du service civique, incluant les vêtements imposés aux filles et femmes musulmanes dans ces contextes. En 2019, plus de 700 ordonnances inspirées de la Sharia ont été comptées dans le pays, profitant de la liberté permise par cette décentralisation. Depuis le début des années 2000, les témoignages de femmes et jeunes filles qui se sentent forcée de porter le hijab, non pas par une loi explicite mais par la pression sociale exercée sur les femmes musulmanes, se multiplient.

Enfin, un fléau majeur auquel l’Indonésie fait face est le trafic d’êtres humains. Bien que ce commerce ne concerne principalement que les citoyens indonésien, les femmes étrangères se retrouvent parfois prises dans ces réseaux. Le développement de la prostitution forcée et du trafic de personnes a contribué au développement du tourisme sexuel en Indonésie, et le pays compte entre 40 000 et 70 000 personnes mineures victimes d’exploitation sexuelle - notamment dans les régions et îles les plus visitées comme Bali. De nombreuses femmes signent également des contrats de mariages temporaires avec des touristes, souvent venus d’Arabie Saoudite. Il s’agit pour elles d’un moyen de subvenir aux besoins de leur famille malgré que cela soit interdit par la loi indonésienne, faute d’autre option et par manque d’application des lois concernant la protection des femmes et des individus en général. Ces touristes du Moyen-Orient séjournent souvent vers Puncak en Java Occidentale, au sud de Jakarta. À Kota Bunga, dans cette région, des rues bordées d’immenses villas les accueillent pendant la courte durée de leur mariage.   

Une élection présidentielle qui peut amener à une exacerbation des tensions

En 2024, l’ancien officier et ministre de la Défense Prabowo Subianto est élu comme nouveau président de la République d’Indonésie. Soutenu par le président sortant Joko Widodo qui ne pouvait pas se représenter pour un troisième mandat, il a pris ses fonctions présidentielles le 20 octobre après son élection le 14 février. Prabowo Subianto est onsidéré comme ayant pris par aux répressions ayant eu lieu dans les années 1980 et 1990 en Papouasie et au Timor-Oriental, soupçonné d’avoir agi en faveur des émeutes de Jakarta de 1998 et est pour ses positions en faveur des partis politiques prônant un islam radical. Son élection semble ainsi indiquer une continuité dans la direction prise par le pays. Certaines organisations non-gouvernementales comme Amnesty International ou l’Organisation Mondiale Contre la Torture ont appelé le gouvernement indonésien à ne pas mettre en place des amendements proposés dans l’objectif de donner plus de liberté dans l’usage de la force par les policiers du pays. Cette prise de position mentionne notamment 198 incidents impliquant l’usage illégal de la force par la police et appelle le président à ne pas légaliser ces pratiques. 

Son élection s’inscrit dans une tendance de durcissement des politiques sociales envers les femmes et les minorités ethniques du pays au nom de critères religieux et de fierté et d’unité nationale. Il est donc nécessaire de surveiller l’évolution de la situation politique du pays afin d’assurer que la sécurité des ressortissants français ne soit pas remise en cause par une éventuelle hausse de l’instabilité en Indonésie.

Une montée en puissance géopolitique dans et hors de la région 

Pivot dans son rôle au sein de l’ASEAN et dans la stabilité régionale 

L’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) a été fondée en 1967, avec l’Indonésie comme l’un de ses cinq pays fondateurs. Elle réunit aujourd’hui 10 pays de la région et a pour but de renforcer la coopération, l’assistance mutuelle entre les pays membres et avoir plus de poids dans les négociations internationales. C’est l’Indonésie qui accueille son siège à Jakarta et le pays a toujours été particulièrement investi dans l’ASEAN depuis sa création. Elle a notamment participé à la médiation du conflit entre le Myanmar et le Bangladesh concernant les Rohingya et a aussi rendu possible l’accord de libre-échange RCEP (Partenariat économique régional Global) entre les dix actuels pays de l’ASEAN, la Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Il s’agit, à ce jour, du plus grand accord de libre-échange au monde en regroupant près de 30% du PIB global. 

Le bon fonctionnement de l’ASEAN et la prospérité de la région étaient des objectifs majeurs et prioritaires de l’Indonésie au cours des dernières décennies. Toutefois, l’élection du président Prabowo Subianto semble marquer un tournant dans cette politique. En effet, l’une de ses priorités au moment de sa prise de fonction fut de se lancer dans une tournée diplomatique en se rendant notamment en Chine, au Japon, au Royaume-Uni et aux États-Unis dans le but de discuter des relations du pays avec les autres puissances et d’éventuels accords bilatéraux. Jakarta semble ainsi sortir d’une sorte de non-alignement régional afin d’étoffer ses propres relations et accords avec le reste du monde, plutôt que de favoriser des accords via l’ASEAN. L’Indonésie a renouvelé ses exercices militaires conjoints avec la Russie en novembre 2024 en dehors du cadre du partenariat militaire entre celle-ci et l’ASEAN, les premiers ayant eu lieu en 2020. 

L’Indonésie est aussi un acteur particulier de sa région, puisqu’il s’agit du seul pays de l’ASEAN à avoir rejoint, en janvier 2025, les BRICS. Cette admission a une valeur politique importante car elle illustre parfaitement comment la politique étrangère du pays est devenue plus assertive dès le début du mandat du président Subianto. Devenir un membre à part entière des BRICS montre par ailleurs le renforcement de la position de Jakarta en tant que pays non aligné aux grandes puissances mondiales actuelles. Toutefois, cela vient aussi poser question concernant les priorités de l’Indonésie entre son rayonnement individuel, son investissement dans la région via l’ASEAN et dans le monde via les BRICS. 

Lutte contre la présence grandissante de la Chine 

La République d’Indonésie est l’un des pays majeurs qui se positionne en contrepoids de la montée en influence de la République Populaire de Chine (RPC) dans l’Asie du Sud-Est et l’Indo-Pacifique. Cela se ressent particulièrement au niveau des désaccords territoriaux qui animent les eaux de la mer de Chine méridionale. Si l’Indonésie ne revendique aucune île pour laquelle sa souveraineté n’est pas déjà reconnue par des accords légalement enregistrés (accord de 1969 avec la Malaisie et accord de 2003 avec le Vietnam), elle s’est déjà positionnée contre les revendications émises par la Chine. La RPC revendique en effet une partie de la ZEE (Zone Économique Exclusive) qui a été reconnue à l’Indonésie grâce à sa souveraineté sur les îles Natuna, situées au sud du Vietnam, via sa «ligne à neuf traits ». La Chine maintient toujours que la souveraineté sur cette zone lui appartient aujourd’hui, malgré un jugement de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye déclarant que cette démarcation n’avait aucune base légale.

Le désaccord est donc toujours présent entre les deux pays, et refait surface régulièrement lorsque l’Indonésie refuse l’accès à ces eaux aux bateaux de pêche chinois. Des occurrences ont lieu tous les ans, et trois bateaux se sont vus nier l’accès à ces territoires de pêche rien qu’en octobre 2024. Le président indonésien a affirmé qu’il s’agissait d’une façon de protéger son économie en empêchant l’entrée de pêcheurs étrangers dans la ZEE de son pays. Les fonds marins autour des îles Natuna sont également suspectés de regorger de gisements de pétrole ou de gaz encore inexploités, une ressource extrêmement précieuse. 

Contrôle du détroit de Malacca

Il ne faut pas oublier l’importance de l’Indonésie dans le contrôle du détroit de Malacca, bordé au sud par l’île indonésienne de Sumatra. Véritable pilier du commerce international, le détroit voit passer plus de 30% de tous les produits commercialisés dans le  monde et représente la deuxième route commerciale la plus utilisée dans le transport de pétrole. L’Indonésie joue un rôle important dans sa protection, notamment dans la lutte contre la piraterie, au vu de la présence du détroit dans ses eaux territoriales. 

La volonté de Jakarta de développer ses capacités sécuritaires et sa place comme acteur à l’échelle internationale offre une opportunité pour la France de consolider des accords économiques déjà présents entre les deux pays et d’augmenter ses exportations vers l’Indonésie.

La menace grandissante d’une crise du climat et de la biodiversité

L’Indonésie aux premières loges concernant la montée des eaux 

En tant qu’État archipélagique, l'Indonésie est particulièrement vulnérable à la montée des eaux. Certains villages subissent déjà les conséquences de ce phénomène, comme Kuala Selat à Sumatra qui a vu un kilomètre de sa superficie déjà recouvert. Cette menace plane aussi depuis de nombreuses années sur la capitale du pays. La ville s’étend en effet jusqu’au bord de la baie de Jakarta et est en train de s’affaisser sur elle-même : aujourd’hui, près de 40% de la ville se trouve en dessous du niveau de la mer et s’enfonce jusqu’à 27 centimètres par an à certains endroits. Cela met en danger les 10,6 millions d’habitants de la ville et a poussé le gouvernement à remplacer Jakarta par Nusantara comme capitale en août 2024. La nouvelle ville est située sur l’île de Bornéo et bénéficie donc d’une géographie plus protégée du changement climatique et de la forte activité volcanique du pays.

Lier protection de l’environnement et développement économique du pays 

L’Indonésie se caractérise par sa très grande richesse en termes d’écosystème et de biodiversité.  Encore aujourd’hui, près de 49% du territoire du pays est recouvert par des forêts, mais ce pourcentage à presque été divisé de moitié depuis les années 1950. Si la déforestation avait déjà commencé pendant l’histoire coloniale indonésienne, elle ne s’est vraiment développée qu’après l’indépendance du pays. Depuis 2001, la production d’huile de palme serait responsable de 23% de la déforestation nationale, étant l’un de ses produits d'exportation les plus importants et rentables. Cette pratique et surtout l’intensité à laquelle elle est effectuée, parfois en toute illégalité à cause du manque de suivi de l’application des lois qui est un réel problème en Indonésie, a un impact dévastateur sur la biodiversité du pays mais aussi sur la survie des villes à long-terme. La fragilisation des sols due à la disparition de millions d’hectares de forêt rend les territoires plus vulnérables aux inondations et aux glissements de terrains en cas de fortes pluies ou de tempêtes, ce qui menace donc les populations et surtout les plus démunis. 

Le deuxième secteur économique avec un réel impact sur la protection environnementale du pays est l’exploitation minière. Aujourd’hui une des plus grandes puissances minières du monde, l’Indonésie représente la moitié du commerce de nickel affiné au monde et un tiers du nickel miné au monde grâce à ses lois souples dans le domaine, aux investissements chinois et ses immenses réserves en matériau brut, . Les conséquences de cette industrie grandissante sont multiples : elle favorise la déforestation dans les régions minières, entraîne une très grosse production de gaz à effet de serre et très souvent un irrespect des droits des populations locales, qui sont soit forcées à se délocaliser ou à travailler dans des conditions dangereuses. Récemment, le 10 juin 2025, le gouvernement indonésien a révoqué quatre permis miniers dans les îles de Raja Ampat à des entreprises pour violation des régulations de protection de la biodiversité du pays. Cette décision a été rendue possible notamment grâce à la pression d’un mouvement lancé par l’association Greenpeace sur les réseaux sociaux via le hashtag #SaveRajaAmpat, appelant le monde à se mobiliser pour protéger cet archipel considéré comme ayant l’une des biodiversité les plus importantes du monde. Toutefois, la pérennité de cette décision est incertaine alors que certaines de ces entreprises demandent à récupérer leur droit à miner le nickel dans la région et que le pays souffre d'un manque de cadre légal à ce sujet. 

Ces pratiques, vues comme indispensables pour le développement économique du pays, viennent poser un problème de taille dans la réalisation des engagements pris par l’Indonésie en faveur de sa transition énergétique et de la limitation du réchauffement climatique. Le pays a en effet signé et ratifié l’accord de Paris sur le climat de 2015.

Une histoire de répression de certaines minorités toujours victimes d’inégalités aujourd’hui 

En 2023, le tourisme représentait 4,8% de la croissance économique de la République d’Indonésie. L’industrie s’est progressivement remise de l’impact dévastateur de la crise de COVID-19, notamment à Bali où se concentre l’immense majorité des visites des touristes internationaux. Là encore, le gouvernement et les agences de tourisme locales favorisent le profit économique au-delà de la promotion d’une forme de tourisme plus responsable. À Bali, les hôtels de luxe utilisent une majorité des ressources d’eau potable disponible sur l’île, privant parfois les populations locales d’un accès à l’eau. Le coût de la vie peu élevé comparé à celui des pays d’où viennent les touristes encourage une surconsommation des visiteurs, favorisant la praticité au-delà de tout autre critère, et donc de la protection des sites, de l’environnement et des populations locales. 

L’enjeu du climat est majeur partout dans le monde, mais particulièrement dans des pays comme l’Indonésie qui ont un profil économique qui permet difficilement la prioritisation de la sauvegarde de l’environnement. La France peut ainsi se présenter comme un soutien de choix, via l’Aide Française au Développement pour aider davantage l’Indonésie dans sa transition énergétique.

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