Les drones, une révolution de l’industrie de la guerre ?

Article publié le Oct 04, 2025
Camille Desruelles
Diplomée 2024 à Sciences Po Strasbourg
Pour citer ce baragouin :
Camille Desruelles, "Les drones, une révolution de l’industrie de la guerre ?", BARA think tank, publié le Oct 04, 2025, [les-drones-une-revolution-de-lindustrie-de-la-guerre]

Utilisés en Ukraine, au Yémen par les Houthis ou en Iran par les Américains, les drones militaires sont aujourd’hui des composantes à part des opérations militaires modernes. S’ils existent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et sont intégrés progressivement dans les armées du monde, les drones semblent aujourd’hui promettre de nouvelles manières de faire la guerre. 

Parfois peu coûteux à élaborer, les drones permettent également de protéger les opérateurs, et de déshumaniser la guerre. L’utilisation massive des drones, notamment dans la guerre en Ukraine, pose aujourd’hui plusieurs questions éthiques ; la place de la robotique et de l’homme dans la guerre, la question de la responsabilité des robots autonomes. Par ailleurs, ces événements remettent aussi en question la doctrine traditionnelle occidentale sur le développement, la conception et l’utilisation des drones. En effet, si jusqu’à présent les drones étaient présentés comme une technologie de pointe, dans les faits c’est l’utilisation massive de petits drones, peu coûteux, qui permet de neutraliser des équipements bien plus chers. Dès lors, les drones permettent de renverser les rapports de force traditionnels des armées et des armes. Tous ces changements forcent les armées à se positionner, aussi bien en termes de stratégie sur le champ de bataille que d’un point de vue économico-industriel, ainsi qu’humain. 

Ainsi, peut-on dire des drones qu’ils révolutionnent l’industrie de la guerre ? Il faut d’abord étudier le drone comme un système avec de multiples missions, pour souligner son aspect consommable. Dès lors, le rapport efficacité coût du drone apparaît comme un avantage au combat, avec de nouvelles perspectives à intégrer dans les doctrines. Enfin, ces atouts présentés en font l’arme de choix pour les nouvelles formes de guerre. 

Le drone comme un consommable ; rapport coût efficacité avantageux. 

Ces drones se déclinent en plusieurs catégories; terrestre, marine et aérienne, mais aussi différentes missions ; reconnaissance et information (ISR), drones kamikazes ou bombardiers et même logistique, avec le transport. De nombreux modèles sont disponibles, aussi bien de pointe, comme des drones type Wingman, développés pour assister les avions de chasse (le Fury américain, ou nEUron européen) qu’assez basiques (Shahed, iranien). Nous nous concentrerons ici principalement sur les drones aériens, qui sont les plus répandus. 

Atrophie et spécialisation de l’armement aérien 

Depuis les années 2000, l’industrie de la guerre occidentale s’est largement concentrée sur de l’armement de pointe. Pour le domaine aérien, par exemple pour les avions de chasse, où la cinquième et la sixième génération se concentrent sur la furtivité, la connectivité et la guerre électronique. Il est même question d’aéronefs inhabités, qui pourraient être remplacés par des drones, ou du moins téléguidés à distance. Ces projets sont en développement, et représentent des coûts importants : le NGAD américain possède un budget de 16 milliards de dollars pour les 5 prochaines années, le coût total du programme SCAF est évalué entre 50 et 80 milliards d’euros… Ainsi, les armées de l’air ont vu leur parc se réduire en nombre au profit de la pointe de la technologie. 

Au prix unitaire, les avions de chasse comme les missiles représentent également des coûts importants ; 73 millions d’euros en moyenne pour un Rafale, 1,75 millions d’euros par missile pour un missile sol-air (Aster30)... Il s’agit de programmes et de produits coûteux, qui entendent dominer le combat par la supériorité technologique. 

Accessibles et produits en masse, de nouveaux rapports établis par les drones 

Mais les drones bouleversent les rapports de forces établis et soulignent la disproportion de l’armement occidental. En effet, les drones peuvent être développés comme des armes avec un prix de production assez bas car ils ne contiennent pas de technologie de pointe. Certains drones ne sont même pas des drones militaires, il s’agit de drones de loisir équipés d’explosifs, comme on l’a vu en Irak, ce qui permet leur exploitation en masse. Leur efficacité ne repose pas dans la technologie, peu pointue, mais dans le nombre qui noie rapidement les défenses antiaériennes, et leur coût et accessibilité. La taille et l’altitude de vol sont également des paramètres qui jouent en faveur des drones.

C’est ce qu’a souligné l’ancien chef d’état-major des armées françaises Thierry Burkhad, au sujet d’une FREMM française en mer Rouge. Celle-ci neutralise les drones des Houthis (des Shahed, production iranienne, à environ 20 000 euros pièce) avec des missiles antiaériens Aster, (Aster15, plus d’1 million d’euros pièce). Sur le long terme, il n’est pas viable d’utiliser de tels moyens. 

En Ukraine, les Shahed démontrent leur efficacité par la saturation des défenses antiaériennes et facilitent la tâche des missiles plus performants, qui sont noyés dans la masse. Ainsi, les deux types d’armements sont utilisés comme complémentaires et permettent de diminuer les coups. 

De ce fait, le retour des guerres de haute intensité, mais également l’asymétrie des conflits pose la nécessité de repenser la logique des coûts aussi bien humains qu’économiques, d’un conflit. Il s’agit d’un véritable changement de paradigme au niveau de la stratégie industrielle militaire

Bouleversement de la culture militaire traditionnelle

Capables de percevoir leurs environnements, de communiquer et parfois même de prendre des décisions, les drones peuvent être autonomes. Au mieux, ils décentrent l’opérateur humain au simple rôle de responsable et décisionnaire, en l’écartant du champ de bataille. Les drones avaient été pensés comme des avantages dans la guerre en milieu complexe, notamment celles contre le terrorisme. Les drones permettent d’obtenir des renseignements en relative autonomie, ce qui garantissait la sécurité des soldats.

Dès lors, ils permettent de repenser le combat, aussi bien pour les acteurs que pour les stratégies, dans un nouveau contexte de guerre. 

La nécessité de revoir la doctrine stratégique

En effet, les drones remettent en perspective les logiques de puissance habituelles, avec un rapport coût-puissance nouveau. Cela permet à de petits acteurs, qu’ils soient étatiques ou non, de s’en procurer facilement et bouleverse les doctrines traditionnelles. En Ukraine, malgré la disparition des bâtiments de guerre ukrainiens en février 2022, les drones navals parviennent quasiment à supplanter le rôle de la marine. L’Ukraine a ainsi réussi à chasser la marine russe de la côte occidentale de la Mer Noire, sans disposer de véritable marine. Il s’agit d’un véritable pivot dans la doctrine militaire traditionnelle qui repose habituellement pour la marine sur les navires et/ou sous-marins, comme le souligne le général Breton, du Centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations. 

Un avantage dans la guerre asymétrique

Cela permet donc à des armées mal en point ou des groupes armés de rivaliser avec des armées conventionnelles. Le nombre de drones va jouer, mais également la taille et l’altitude de vol. Face à des défenses antiaériennes calibrées pour intercepter des missiles ou des avions, les drones sont plus difficiles à repérer et à intercepter. C’est notamment le cas au Moyen-Orient, où les Houthis ainsi que d’autres groupes armés lancent régulièrement des attaques sur le territoire israëlien avec des drones, qui saturent le dôme de fer. 

Il devient donc nécessaire d’établir de nouvelles stratégies militaires pour faire face à ces drones, que ce soit pour la saturation ou le brouillage. 

Le rôle des drones dans la guerre hybride et électronique

Enfin, dans des guerres où l’électronique a de plus en plus d'importance, les drones ont un rôle crucial ; ils peuvent diffuser des images et des données en temps réel du champ de bataille. Cela rend possible l’analyse quasi-permanente de la surveillance aérienne, avec la possibilité de coordonner des frappes en temps réel. Il s’agit également d’un éloignement du combat pour les opérateurs, ce qui va également limiter les coûts humains. Mais cela va également poser un défi, puisqu’il faut s’assurer que les communications soient sécurisées, ajoutant une dimension cyber à la guerre. Certains drones ont d’ailleurs pour rôle d’intercepter et de brouiller les communications, comme le Orlan-10 russe (drone d’interception radio et téléphone).

Éthique et perspectives - décentrer l’homme de la guerre

Enfin, les drones en tant que robots quasi-autonomes et/ou téléguidés font évoluer les rapports humains à la guerre. 

La distanciation des opérateurs

Certes d’un côté ils permettent de limiter les pertes humaines en retirant les opérateurs humains du champ de bataille. La permanence de vol et la qualité des données apportées par les drones devraient permettre des frappes mieux ciblées et également mieux proportionnées. Il faut néanmoins garder à l’esprit que les données peuvent malgré tout être faussées ; la prise de décision doit donc être conservée par l’opérateur humain. Il y a également une part symbolique importante dans la distanciation du champ de bataille bien que la plupart des armées s’accordent sur le fait que les opérateurs des drones doivent être sur le terrain. 

Dans les perspectives à venir, il faut également noter l’intégration progressive de briques technologiques, comme l’intelligence artificielle, dans ces systèmes. Idéalement, l’intelligence artificielle pourrait autonomiser complètement la navigation et faciliter l’évolution du drone dans des milieux complexes et contestés. 

Redéfinir la place de l’homme au sein des systèmes 

Ces changements semblent décentrer la place de l’homme dans la guerre. Si la plupart des armées s’accordent sur le fait que l’homme est celui qui doit prendre la décision, il faut également se pencher sur la question d’où la prendre. Aujourd’hui, dans l’espace aérien la pertinence d’un avion de chasse n’est pas contestée, puisque ses missions diffèrent de celles des drones, et leurs rôles se complètent. Dans les projets de systèmes armés aériens du futur, le pilote devra apprendre à contrôler aussi bien son appareil que les drones qui l’accompagnent afin d’optimiser l’interaction homme-machine. Ainsi, le drone-ailier assistera le chasseur, au même niveau que l’essaim de drones, en collaboration. 

Il semble donc que si la place de l’homme n’est peut-être plus au cœur du combat, elle demeure au cœur de la prise de décision, bien que ces décisions soient probablement de plus en plus assistées par des systèmes, comme l’on peut le voir dans le développement des systèmes aériens de nouvelle génération. 

Par ailleurs, si les drones constituent un bouleversement de nombreux paramètres de la guerre, il s’inscrit dans une longue lignée d’avancements technologiques souvent développés dans la nécessité des conflits. Ainsi, la Première Guerre mondiale a vu émerger les chars, la Seconde le combat aérien. Les guerres de décolonisation étaient l’apanage du combat asymétrique ; il semblerait que les conflits du XXIème siècle basculent aujourd’hui dans des guerres hybrides où les systèmes automatisés sont au cœur du conflit.

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