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Lundi matin, aux environs de dix heures, le Premier Ministre Sébastien Lecornu démissionne. Au même moment, la Bourse de Paris chute de 2,02%. Son gouvernement aura duré 14 heures et 26 minutes. Il faut dire qu’il fut critiqué de toutes parts. Lui-même le résume timidement lors de son discours démissionnaire : « Être Premier Ministre est une tâche difficile, sans doute encore un peu plus difficile en ce moment. Mais on ne peut pas être Premier Ministre lorsque les conditions ne sont pas remplies. »
Des conditions pas remplies donc, mais lesquelles ? Car le Premier Ministre nouvellement entrant et sortant faisait face à un climat politique d’une tension inégalée. Mais alors, que s’est-il passé ? Comment une telle chute, si brusque, et qui a pris de court les Français comme ses politiques les plus zélés, a-t-elle pu arriver ? Et surtout, quels horizons semblent se dessiner ?
Pour comprendre la chute, il faut d’abord comprendre le gouvernement.
De fait, le gouvernement Lecornu aurait pu apparaître comme une « rupture », tout du moins sur le fond. Lorsqu’il annonce qu’il n’aura pas recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, c’est une lecture parlementaire de cette dernière qu’il propose aux Françaises et aux Français. Une lecture qui peut surprendre au vu de l’historique du camp macroniste. Mais cette dernière semble le fruit d’un retour aux origines de la Veme République , tel qu’il la décrira dans son discours de lundi matin : « l’article (…) était un moyen de contraindre sa majorité dans l’esprit du constituant, notamment de Michel Debré et du général de Gaulle ». Autrement dit, redonner le pouvoir au Parlement, et cela sous l’égide de celui qui est considéré à bien des égards comme le sauveur de la France libre. En revenant à cette lecture parlementaire, Sébastien Lecornu se montrait soucieux du respect de la Constitution dans sa lettre première, et montrait une certaine déférence à l’égard de la voix du peuple portée par ses élus.
Mais cette rupture sur le fond se heurte à une forme bien coutumière. Sur les dix-huit membres du gouvernement Lecornu, pas moins de douze étaient reconduits. C’est le cas de Manuel Valls aux Outre-Mer, Bruno Retailleau à l’Intérieur, Gérald Darmanin à la Justice, Elisabeth Borne à l’Éducation, ou encore Rachida Dati à la Culture. Ces figures, souvent critiquées, objets de diatribe populaire comme Mme Borne, parfois en plein démêlés judiciaires comme Mme Dati, ont été accueillies avec froideur par le monde politique. Mais la froideur se transforme en colère face à la nomination d’un homme, Bruno Le Maire, aux Armées. L’ancien protecteur de Sébastien Lecornu est, avant tout, dans l’imaginaire politique, « l’homme de la dette », celui à blâmer pour l’état des finances publiques.
Dès lors, dimanche soir, de gauche à droite, au sein même du parti présidentiel, les critiques fusent.
Aux extrêmes, on prône la censure du gouvernement. Jean-Luc Mélenchon annonce que le gouvernement « ne tiendra pas », avant de s’indigner de « deux censures pour rien ? », alors que ses élus prévoient déjà de déposer une motion de censure dès le mardi, lors de la déclaration de politique générale. De l’autre côté, le député du Nord du Rassemblement National, Sébastien Chenu, qualifie le retour de M. Le Maire, « l’homme qui a mis la France en faillite » selon Marine Le Pen, comme d’une « provocation faite aux Français ». Il déclare « Je ne vois pas aujourd’hui d’autre voie que la censure ». Le ton est donc donné.
Certains se montrent sceptiques, mais peut-être aussi présument de la bonne foi du nouveau Premier Ministre. Ainsi, le Premier Secrétaire du Parti Socialiste Olivier Faure déclare sur France Inter au lundi matin « le sentiment qui domine, c’est la consternation. Nous assistons à une crise politique sans précédent. » et critique le retour de Bruno Le Maire, véritable « provocation » selon lui, alors que le gouvernement appelle les Français à redoubler d’efforts pour ne pas accroître la dette. Mais ce dernier note aussi que « tout peut progresser, y compris dans les dernières heures ». La censure n’était donc pas la seule solution du côté des socialistes, sinon celle d’une situation qui s’avèrerait sans issue.
Mais ces troubles ont été monnaie courante ces dernières années, à la lumière des nominations d’Elisabeth Borne, de Gabriel Attal, de Michel Barnier ou encore de François Bayrou. Les critiques d’une politique devant changer de cap, de ministres déconnectés, les accusations de copinage ont été légion. Le véritable coup de tonnerre, ce que certains appellent déjà « la Fronde », qui a sans doute motivé la démission du gouvernement, est la scission des alliés républicains du macronisme.
Dans un premier temps, l’Union des démocrates et indépendants, dont les deux ministres sortantes au logement et à la ruralité n’avaient pas été reconduites, pourtant traditionnellement attachée au socle macroniste, a annoncé « reprendre son entière liberté ». Perdre une assise de centre-droit aurait pu être d’une importance certes existante mais moindre, si elle n’était pas le manifeste d’un problème plus étendu.
Car à 21h22, dimanche 5 octobre, Bruno Retailleau, pourtant reconduit pour la troisième fois en un an au ministère de l’Intérieur, déclenche les hostilités d’un laconique message sur le réseau social X : « La composition du gouvernement ne reflète pas la rupture promise ». Formule bien brève, mais également bien révélatrice. Car le locataire de la place Beauvau se montre critique de la nomination « surprise » de Bruno Le Maire aux Armées, alors qu’ironie du sort ! il avait lui-même refusé le même poste quelques jours auparavant. Ce retour de l’ancien ministre de l’Économie est donc pour les Républicains celui du symbole de la dérive des finances publiques, de l’homme porté aux gémonies recyclé par son propre camp par « copinage », sans penser à l’intérêt de la nation. Le retour de M. Le Maire est la démonstration d’une déconnexion d’un chef de gouvernement promettant pourtant la rupture. Et le problème ne peut que s’accentuer, lorsque Bruno Retailleau s’insurge de la surprise qu’est cette nomination, dont le Premier Ministre n’a pas tenu à l’informer. La querelle entre deux hommes au sujet d’un manquement devient donc, selon les mots du chef de parti, « un problème de confiance ». Le Ministre reconduit de l’Intérieur devient donc le premier critique de son propre gouvernement, comme le résume la députée Renaissance Prisca Thevenot : « Il y avait le soutien sans participation, Bruno Retailleau invente la participation sans soutien ». Après avoir justifié son entrée dans les gouvernements successifs de la macronie par l’objectif existentiel de « barrer la route à la gauche mélenchonisée », ce dernier se retourne contre ceux qui lui ont donné son poids dans la sphère politique française.
C’est cette posture qui a été éminement condamnée, en premier lieu par le Parti Socialiste. Olivier Faure, lors de son entrevue à France Inter au lundi matin, critique une attitude qui « ne rend service à personne » et un jeu des Républicains à peine masqué d’une primaire « en vue de 2027 ». Le discours du Premier Ministre sortant lundi matin va bien dans ce sens, lorsqu’il parle d’une composition ayant « donné lieu au réveil de quelques appétits partisans, parfois non sans lien (…) avec la future élection présidentielle ». Les Républicains, en s’affranchissant d’une macronie dont ils n’ont plus besoin, se rangent à l’avis acerbe d’un gouvernement affichant une rupture de simple façade alors qu’ironiquement, ils disposaient de cinq portefeuilles sur dix-huit.
Au-delà, cette fronde ne s’est pas faite sans critique au sein de leur propre bord. Le Rassemblement National l’analyse ainsi avec sévérité dès son annonce faite : « Quelques heures après avoir accepté de participer au gouvernement, des années après avoir été, en toutes circonstances, la béquille du macronisme, les Républicains tentent désormais de se grimer en opposants. Personne ne doit être dupe : leurs seuls désaccords portent sur les négociations de boutiques pour obtenir tel ou tel ministère ».
En somme, la crise initiée semble, à l’aurore de la démission du Premier Ministre, faire l’objet de résultats mitigés. S’ils ont bien réussi à se désolidariser d’une faillite plus ou moins inévitable de la logique macroniste de recyclage du personnel politique, ils ont entaché leur image de parti responsable, prêt aux compromis pour faire barrage à l’extrême-gauche.
Ainsi, dans ce paysage politique fracturé à l’excès, Renaissance et Sébastien Lecornu ne disposaient que d’une marge de manœuvre minime.
Car si la réaction des ministres macronistes a été, bien légitimement, de critiquer ces scissions irresponsables, on ne peut affirmer qu’elle fut entendue. C’est bien ce que dit le ministre des Affaires Étrangères Jean-Noël Barrot, qui ne « veut pas croire (…) que le parti du général de Gaulle puisse se désolidariser et se livrer à du chantage ». Même rengaine pour Aurore Bergé, porte-parole du gouvernement qui déclare croire « au sens de l’État de Bruno Retailleau » et ne pas imaginer que les Républicains puissent partir. Leur espoir fut cependant déçu, au vu des réactions de plus en plus véhémentes des élus républicains appelant bel et bien à une fronde envers le gouvernement.
Les fractures finissent même par atteindre le cœur de la macronie, Renaissance. Gabriel Attal, secrétaire général du parti, déplore ainsi « le spectacle affligeant (…) renvoyé par l’ensemble de la classe politique ». L’ensemble, donc, dont fait partie le gouvernement. Il remue le couteau dans la plaie, semble-t-il en assurant à ses députés de ne pas avoir à se sentir coupables de cette situation où « les coups de canifs de la part du socle commun créent autant de brèches dans lesquelles peuvent ensuite s’engouffrer les oppositions ». Belle revanche en vérité pour un ancien Premier Ministre ayant bien souvent donné l’impression d’une amertume quant à sa destitution, et à la gestion de cette dernière par Emmanuel Macron.
Face à l’hostilité intransigeante des extrêmes droite et gauche, à la défiance de la gauche et à la Fronde du centre-droit et de la droite républicaine, il est clair que, pour paraphraser Sébastien Lecornu, les conditions n’étaient pas réunies pour une déclaration sereine de la politique générale au mardi. Sans doute est-ce là la raison de la démission de Sébastien Lecornu, Premier Ministre éclair de la Vème République.
Alors, que peut-on espérer désormais ? Ces deux jours nous en donnent quelques indices.
Sans doute dans un premier temps est-ce nécessaire d’analyser les différentes réactions à cette démission qui prit le monde politique de court.
Certains font le calcul, la démission actée, de projeter la nécessité d’une dissolution de l’Assemblée Nationale afin de rendre la capacité de décision aux Français. Le chef de file de cette revendication est bien évidemment le Rassemblement National, Marine Le Pen scandant que « la farce (avait) assez duré » et que « la seule décision sage dans ces circonstances (…) est d’en revenir aux urnes ». Ces élections ne pourraient que plaire au Rassemblement national, puisqu’il en ressortirait gagnant, avec, au vu des sondages, une majorité relative. De quoi avoir la possibilité de rêver de Matignon, pour mieux préparer 2027.
Mais pour rêver de Matignon, il faudrait avoir un appui solide à l’Assemblée, voire une majorité absolue. Or, il en est un second, qui nie sa responsabilité dans la chute du gouvernement en assurant avoir fait le choix du pays, et qui se dit confiant en cas de dissolution : le parti des Républicains. Avec la démission du gouvernement, le dilemme presque shakespearien d’une nécessité de rupture sans montrer une irresponsabilité face à l’urgence politique du moment a été résolu. En somme, le grand gagnant de cette chute est républicain. Car François-Xavier Bellamy, à titre d’exemple, ne s’est pas privé de se gausser d’une décision pourtant hors du contrôle de son parti, arguant que les Républicains n’auraient pu « offrir un dernier tour de piste » au macronisme, et qu’ils avaient connu plusieurs succès récent lors de législatives partielles, présageant un succès aux législatives anticipées.
Dès lors, le rêve de l’extrême-droite d’un locataire à Matignon ne peut se faire sans compter sur les Républicains, alors que dans ce jeu de dupes, les Républicains semblent briguer le même poste avec l’appui du Rassemblement National. Sans doute est-ce pour cela qu’en ce lundi soir, la formule d’« union des droites » se fait de plus en plus pressante.
Face à cette union qui peut paraître alarmante, certains se montrent prêts à travailler main dans la main avec la Présidence de la République pour résoudre une crise sans précédent. Si le Parti Socialiste déclare que la situation n’a fait que confirmer que le macronisme plonge de plus en plus le pays dans le chaos, Olivier Faure salue avec panache la décision de Sébastien Lecornu sur le réseau social X : « Je me demandais s’il restait un gaulliste dans ce pays. Il en restait un, et il vient de démissionner avec dignité et honneur ». De fait, le Parti Socialiste tente de rappeler une position qui se veut conciliante envers le gouvernement, en déplorant sa chute (« nous n’avons jamais appelé à cela »), quitte à oublier qu’ils avaient annoncé voter la censure quelques heures plus tôt, et en se targuant d’être « des artisans de la stabilité (…) le seul groupe d’opposition capable de dialoguer ». Certains macronistes se présentent d’ailleurs favorables à une telle cohabitation. En premier lieu, la ministre sortante de la Transition Écologique, Agnès Pannier-Runnacher, qui déclare « À ceux qui pensent encore que l’on pourrait gouverner en faisant l’économie de la gauche, je dis : vous vous trompez ». Car si les Républicains ont fait le choix du cavalier seul, démontrant dès lors leur ambition et leur manque de fiabilité, il n’en est pas de même pour le Parti Socialiste, et in extenso les Écologistes, qui pourraient être un candidat crédible pour une future cohabitation.
Cette tentative presque annoncée de briguer la location de Matignon fait face à la volonté de la France Insoumise. Pour faire suite à la démission de Sébastien Lecornu, les Insoumis prônent la destitution du Président : Mathilde Panot déclare « Le compte à rebours est lancé, Macron doit partir », alors que Jean-Luc Mélenchon appelle à « l’examen immédiat » de la motion de destitution déposée le 9 septembre dernier. Mais la France Insoumise se montre aussi plus tempérée. Jusqu’alors intransigeante envers ses compatriotes de gauche, parfois affublés des doux noms de « traîtres » ou de « faux-jetons », La France Insoumise se montre conciliante, désireuse d'une « rencontre » entre les partis fondateurs de la Nupes. Une rencontre qui n’aura pas lieu, refusée par Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes et ignorée par le Parti Socialiste, n’oubliant pas les insultes proférées dans les derniers mois et qu’un gouvernement de gauche où la France Insoumise aurait sa place serait immédiatement censuré.
Quel que soit le bord politique, toutes les réactions à la démission semblent donc contredire le discours du lundi matin de Sébastien Lecornu, lorsqu’il évoque ce qu’il lui apparaît comme le plus important : « Il suffirait de peu pour que l’on puisse y arriver (…) en sachant faire preuve d’humilité. Peut-être aussi un peu parfois d’effacement de certains ego. Ensuite, toujours avoir le sens de l’intérêt général et du fond. (…) il faut toujours préférer son pays à son parti. Il faut savoir écouter ses militants, mais toujours penser aux Françaises et aux Français » Le pays est en proie, plus que jamais, aux luttes de pouvoir intestines, et chacun tente de voir son parti devenir locataire de Matignon.
Cependant, pour le Président, une seule solution sort du lot : celle de la cohabitation avec la gauche du Parti Socialiste et des Écologistes, afin d’éviter une dissolution qui donnerait le pouvoir à l’extrême-droite. Sans doute est-ce la raison pour laquelle E. Macron demandait d’ultimes négociations du Premier Ministre sortant avec les forces politiques d’ici mercredi. Au jeu de la dissolution ou de la cohabitation, notre Président montrera s’il est toujours le barrage contre l’extrême-droite qu’il a promis d’être en 2022.
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